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La finance islamique, une solution contre le riba et un moyen de lutte contre la pauvreté au Niger
Par Zabeirou Mahamadou, Spécialiste en jurisprudence financière islamique
La charia, loi islamique, étant un code de vie englobant tous les aspects de la vie et adapté à tous les temps et à tous les lieux, n’interdit rien sans préconiser une solution meilleure. Ainsi lorsqu’elle a interdit l’adultère, par exemple, elle a institué le mariage. De la même façon, ayant banni le riba, elle a prôné un système d’instruments financiers très utiles et appropriés du point de vue économique, permettant notamment de lutter contre la pauvreté.
Définition et formes du riba:
C’est une augmentation dans l’échange de certaines matières (Ribal-buyu’) ou une augmentation sur les dettes en contrepartie du temps (Ribad-duyun). Il comprend les formes suivantes :
– L’augmentation ou le différé qui interviennent dans l’échange des matières dites »ribawiyya », c’est-à-dire les matières qui, du point de vue charaïque, ne peuvent s’échanger avec augmentation ou différé ;
– Imposer des pénalités en cas de retard de
paiement d’une dette ;
– Accorder un prêt à rembourser avec surplus »intérêt » ;
A cela on peut ajouter le fait de stipuler une diminution en cas de paiement précoce (selon les imams Abu Hanifa et Malik).
Interdiction du Riba:
Allah a dit : «Ceux qui mangent le riba ne se tiennent que comme se tient celui que le toucher de Satan a bouleversé. Cela, parce qu’ils disent : « le commerce est tout à fait comme le riba », alors qu’Allah a rendu licite le commerce, et illicite le riba». ] Sourate Al-Baqarah (La vache): verset 275[.
Dans un autre hadith, le Prophète paix et salut sur lui a dit : «Eloignez-vous des sept grands péchés ruineux. Ils dirent lesquels, ô Messager d’Allah ? Il répondit: donner un associé à Allah, la sorcellerie, tuer une âme qu’Allah a interdite sauf en cas de droit, la pratique du riba, l’aliénation des biens d’un orphelin, prendre la fuite en pleine bataille, l’accusation d’adultère lancée contre les femmes chastes, innocentes et croyantes». (Rapporté par Boukhari et Mouslim)
Cette interdiction s’applique aussi bien à »l’usure » qu’à »l’intérêt »
Le mot riba est un mot arabe qui est généralement traduit en français par »usure » et il doit en principe être son équivalent et de ce fait, l’intérêt ne doit être qu’une forme de l’usure donc du riba. Mais l’usage dont on fait aujourd’hui du mot usure dans la finance classique dite »conventionnelle » lui donne le sens de l’intérêt excessif, dépassant donc le seuil légalement acceptable (le taux d’usure, fixé par les autorités monétaires).
Quant au riba interdit du point de vue charaïque, on ne peut pas parler d’un seuil autorisé. Ainsi dans un prêt, quel que soit la petitesse de l’intérêt c’est du riba et donc interdit. En effet, Al-Qurtubi dit dans son célèbre livre d’exégèse du Saint Coran: «les musulmans sont unanimes sur la base de ce qu’ils rapportent de leur prophète que le fait de stipuler un surplus en cas de prêt c’est du riba, même si ce surplus est une poignée de pâture comme disait Ibn Mas’oud ou bien une seule graine».
Les dangers du riba:
Le riba comporte de multiples dangers dont :
- Les dangers religieux :
- Celui qui pratique le riba est en guerre contre Allah et son Messager, car Allah a dit: «O vous qui avez cru, craignez Allah et renoncez au reliquat du riba, si vous êtes croyants. Si vous ne le faites pas, alors recevez l’annonce d’une guerre de la part d’Allah et de son Messager. Et si vous vous repentez, vous aurez vos capitaux, vous ne léserez personne et vous ne serez point lésés». (Sourate Al Baqarah: 278-279)
- Le riba est une cause de malédiction : Muslim a rapporté dans son authentique recueil, selon Jabir – qu’Allah l’agrée – que le Messager d’Allah – paix et salut sur lui – a maudit celui qui mange du riba, celui qui le lui donne ainsi que celui qui l’écrit et ses deux témoins, il a dit qu’ils sont tous pareils.
- Les dangers psychologiques et sociaux :
Celui qui s’habitue à prêter avec intérêt, il lui sera difficile de prêter sans intérêt, à plus forte raison donner en aumône, ce qui peut contribuer à propager l’avarice et l’égoïsme.
- Les dangers économiques :
L’intérêt déconnecte la finance de l’économie réelle, entraine la cherté, l’inflation et la concentration de la richesse entre un groupe restreint des gens.
C’est à cause de tous ces dangers que comporte le riba qu’il est impératif de faire plutôt recourt aux instruments alternatifs conformes à la charia que sont les instruments de la finance islamique. Ces instruments, en plus d’être une solution contre le riba, sont des instruments de lutte contre la pauvreté.
Finance islamique et lutte contre la pauvreté :
Avant de parler des instruments de lutte contre la pauvreté, il importe de relever d’abord les causes de celle-ci, car c’est en connaissance de causes qu’on peut cerner les moyens adéquats et efficaces dans lutte contre la pauvreté. Face à ces causes identifiées, des principes et instruments islamiques sont à appliquer.
La vraie cause de la pauvreté n’est pas la rareté de ressources dans l’univers. Allah a, en effet, mis à notre disposition les ressources suffisantes pour satisfaire nos besoins, mais la pauvreté a toujours existé et existe encore du fait de l’être humain : du fait de son injustice, sa paresse et son incapacité. Ce sont là en réalité les trois causes de la pauvreté.
L’injustice ; parce que par injustice certains s’accaparent de ce qui ne leur est pas dû, et Dieu sait que les formes de cette injustice sont très nombreuses : le riba, les jeux du hasard, la mauvaise gestion des biens d’autrui qu’ils soient publics ou privés, le gaspillage, le détournement, la corruption etc
Alors pour lutter contre la pauvreté il nécessaire de bannir toutes ces formes d’injustices privant beaucoup de gens de ce qui doit leur revenir comme bien. C’est le principe d’interdiction de »manger les biens d’autrui illégalement ». Allah a dit : «O vous qui avez cru, que les uns d’entre vous ne mangent pas les biens des autres illégalement, mais qu’il y ait du négoce entre vous par consentement mutuel» ]Sourate An Nissa (les femmes): verset 29[
Contre la deuxième cause de la pauvreté (la paresse), la solution préconisée c’est le travail, le travail incluant bien entendu la science, puisque le travail demande du savoir et du savoir-faire qui doivent s’apprendre au préalable. Le travail c’est un devoir islamique individuel et collectif.
Sur le plan individuel, les savants sont unanimes que tout celui qui peut travailler pour subvenir à ses besoins doit le faire, et ne doit pas rester sans travail pour attendre que les autres le prennent en charge.
Sur le plan collectif, tout travail dont la société a besoin est un devoir collectif (fard kifaya). C’est-à-dire que la société doit faire en sorte qu’il ait suffisamment de gens qui le pratiquent de façon à couvrir le besoin.
Quant à la troisième cause de la pauvreté qui est l’incapacité, elle a pour remède la capacitation et l’assistance par la mise en œuvre de tous les instruments financiers islamiques. Il y a en effet dans la société des gens incapables de subvenir à leurs besoins pour diverses raisons, l’incapacité étant elle-même de plusieurs sortes.
- Pour ceux dont l’incapacité est financière, il leur faut une capacitation de ce genre, c’est-à-dire qu’ils doivent trouver à travers la finance islamique le financement adéquat, selon le besoin, pour qu’ils soient efficacement actifs et contribuent au bien-être de la société. Les instruments financiers islamiques sont en effet très diversifiés et permettent de répondre à toutes les sortes de besoins en financement. Ainsi, on distingue :
- Des instruments sociaux ; comme le prêt sans intérêt, la zakat destinée à huit catégories définies dans le Coran, le Waqf à travers lequel on immobilise un bien pour faire donation de son usufruit.
- Des instruments commerciaux à travers lesquels on peut vendre à crédit au demandeur de financement un bien pour qu’il paye par versements échelonnés (la mourabaha), financer la production agricole, artisanale et industrielle en achetant et payant par avance auprès des producteurs à travers notamment le salam et l’istisna, et permettre l’acquisition d’un bien à travers l’ijara acquisitive (location suivie de transfert de propriété).
- Les produits participatifs qui se caractérisent par l’apport de plusieurs parties et le partage des profits et des pertes (la moudaraba, la charika, la mouzara’ah, la moussaqat).
- Pour ceux qui sont définitivement incapables, ils doivent être pris en charge par la société, à travers des outils comme la zakat qui est obligatoire et le waqf qui ne l’est pas mais qui complète le rôle de la zakat.
- Pour ceux dont l’incapacité est psychologique, il faut les conscientiser et les amener à croire qu’ils peuvent travailler pour gagner vie sans attendre qu’ils soient assistés par d’autres.
- Pour ceux dont l’incapacité est liée au fait qu’ils n’ont pas appris un métier, il faut le leur apprendre et leur fournir l’accompagnement nécessaire. Le waqf et la zakat peuvent entre autres permettre de financer cela.
Notons que l’inclusion financière qui est définie selon la BCEAO comme étant «l’accès permanent à une gamme diversifiée de produits et services financiers adaptés à coûts abordables et utilisés de manière effective, efficace et efficiente», est considérée aujourd’hui comme l’un des principaux leviers de développement socio-économique et de la réduction de la pauvreté et des inégalités. D’où la mise en place des stratégies pour sa réalisation (à l’exemple de la SRIF, 2016 et de la SNFI, et son plan d’action 2019-2023).
Pour le cas du Niger, c’est un pays dont l’écrasante majorité de la population est musulmane et qui connait et l’un des taux d’inclusion financière les plus faibles de l’espace UEMOA (14,3 % en 2021). La solution pouvant permettre d’améliorer ce taux d’inclusion n’est autre que la finance islamique, non seulement parce qu’elle dispose d’instruments financiers propres très diversifiés permettant d’atteindre toutes les couches y compris ceux qui ne peuvent pas s’endetter pour rembourser, mais aussi parce qu’elle permet aux musulmans de rester conformes à leur fois et de ce fait permet d’inclure à la finance formelle ceux qui en sont en sont exclus pour des raisons religieuses.
En conclusion, il faut retenir que l’une de des contributions de la finance islamique à la lutte contre la pauvreté, c’est l’encrage des règles justes et la morale dans la gestion et les transactions du domaine publique, privé et bénévole. Elle permet aussi de financer les trois secteurs socio-économiques (Publics, privé et bénévole); parce que les instruments financiers islamiques dans leur diversité répondent à toutes les sortes de besoins en financement et en investissement. Ces instruments doivent être connus, vulgarisés et largement mis en œuvre pour développer l’économie et réduire la pauvreté au Niger.