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De la question de la souveraineté monétaire (des pays de l’AES), réponse aux professeurs Baïdari et Gouadain

Alors que, pour le citoyen lambda, l’affirmation de notre souveraineté monétaire par la création imminente d’une monnaie commune des Etats de l’AES est déjà actée depuis le retrait du Burkina, du Mali et du Niger de la CEDEAO, d’éminents professeurs d’universités tergiversent encore sur cette question. Les Professeurs Boubacar Baïdari et Daniel Gouadain l’appréhendent sous forme de « dilemme monétaire de l’Alliance des Etats du Sahel » (texte Rédigé le 18 Mars 2024. Publié dans Economie) et d’autres, l’examinent sous l’angle d’interminables précautions à prendre, comme s’il s’agirait de domestiquer un monstre redoutable.

« Le dilemme monétaire de l’Alliance des États du Sahel » ( ?)

Ayant reçu cet article sur WhatsApp, je me suis précipité pour le lire, fort intrigué par son intitulé : «Le dilemme monétaire de l’Alliance des Etats du Sahel ». En effet, je voulais savoir en quoi sortir de la zone CFA, puisque c’est de cela qu’il s’agit, constitue-t-il un dilemme pour ces deux éminents professeurs d’université. J’avoue que je suis resté plus perplexe après l’avoir lu, car il n’y apparait aucune analyse critique à travers laquelle se dessineraient les termes d’un dilemme, se contentant de simples affirmations. Rappelons que le dilemme c’est l’obligation de choisir entre deux solutions aussi mauvaises l’une que l’autre, en somme choisir entre la peste et le choléra comme on a coutume de le dire.

Du reste, il ne saurait être autrement dans la mesure où les deux auteurs se sont d’emblée engagés sur une mauvaise prémisse, une mauvaise piste, en s’interdisant « d’entrer dans les arguments politiques avancés par les Autorités de l’AES », comme si la monnaie est un animal, un crapaud dont on peut observer l’évolution au laboratoire, de têtard à l’âge adulte.

C’est cela la démarche de nos deux professeurs qui présentent les contraintes ou principes de l’appartenance à l’union économique et monétaire comme atouts qui mériteraient le maintien du statu quo et la sortie de l’union, illustrée par les échecs de la Guinée, le Mali et la Mauritanie, comme une aventure hasardeuse. En somme le dilemme de l’esclave qui doit accepter son statut d’esclave ou la délinquance, à défaut de savoir gérer son nouveau statut d’homme libre. Voilà comme se présente en gros leur réflexion dont je m’en vais vous présenter quelques aspects, assortis de mes critiques.

I.I « Une situation atypique, porteuse de contraintes et d’opportunités. »

Les deux auteurs rappellent, sans aucune appréciation critique, les principes et règles de fonctionnement d’une union économique et monétaire en général et de l’UEMOA, en particulier, vus sous l’angle de leur évolution dans le temps. Ces règles sont présentées comme des contraintes porteuses d’opportunités dont les conséquences sur l’évolution du PIB et de l’inflation, par rapport à l’Afrique subsaharien dans son ensemble, comme le montrent les statistiques, militent pour le maintien du statu quo.

Avant de donner mes appréciations sur l’UEMOA, je voudrais souligner l’incongruité de la démarche des deux auteurs à écarter les considérations politiques des Etats de l’AES d’une part et d’autre part à retenir, comme contraintes (favorables), le fait que « Les pays concernés font partie d’une union économique : ils n’ont pas la possibilité d’instituer à leurs frontières nationales des entraves à la libre circulation des produits et services à l’intérieur de celle-ci. »

Et pourtant tous les pays de la CEDEAO et de l’UEMOA à l’exception du Togo, ont hermétiquement fermé leurs frontières pour empêcher tout produit ou service extérieur de parvenir au Niger, y compris l’électricité et les produits pharmaceutiques. En outre la BECEAO, contrairement à tous ses principes de non-ingérence des Etats membres et de leurs instances comme l’UEMOA dans son fonctionnement, a décidé du gel des avoirs du Trésor et des établissements publics nigériens pour asphyxier l’économie du pays en la privant d’oxygène monétaire.

Aussi, contrairement à ce qu’affirment les deux enseignants chercheurs, ce n’est pas tant le retrait de l’UMEOA qui est lourd de conséquences que le départ de la CEDEAO, mais c’est sa sanction qui était plus lourde à supporter.

En véritables nègres de maison, les présidents de la CEDEAO et de l’UMEOA ont conçu des sanctions inédites, non seulement contraire à leurs traités mais aussi aux traités internationaux, sur ordre de leur maître esclavagiste français, pour mater la révolte de l’esclave Niger et le ramener aux chaines de la servitude. Peu importe que leurs propres populations en souffrent, pourvu que le maître soit satisfait.

S’interdisant toute considération politique, nos universitaires ne présentent pas le traité et le fonctionnement comme une servitude avec tout ce qu’il comporte comme entraves au développement de nos économies, mais comme une sorte de pis-aller. Aussi, collent-ils à la zone FCFA des avantages et des résultats qui n’ont rien à voir avec son existence, tout en exhibant faussement comme échecs l’expérience de certains pays pour justifier le statu quo.

C’est ainsi que dès l’entame de leur exposé, ils annoncent qu’un retrait de l’UEMOA serait beaucoup plus lourd de conséquences que le départ de la CEDEAO du fait de son ancienneté, « mais également en raison de l’étroitesse des liens humains tissés au fil du temps, dont témoigne notamment l’importance des communautés burkinabé, malienne et nigérienne en Côte d’Ivoire ».

Cette affirmation est une contre vérité, car l’étroitesse des liens humains, en l’occurrence l’importance des maliens et burkinabé en Côte d’Ivoire est bien antérieure à la création de l’UMEOA et même à la colonisation. De même, il y a une forte communauté nigérienne (Songhay en particulier) au Ghana, qui n’a rien à voir avec la CEDEAO.

Ensuite, les auteurs présentent les performances économiques des états de l’AES, en termes de comparaison de la croissance de leurs PIB avec la moyenne de l’Afrique subsaharienne, comme résultantes de l’appartenance à la zone CFA, ce qui est archifaux car un des problèmes majeurs que pose la servitude monétaire de cette zone à la France est que la politique monétaire est complètement déconnectée des préoccupations économiques de ces pays.

Une analyse sérieuse permettrait de déterminer les facteurs déterminants de l’évolution des PIB, exogènes à coup sûr à l’appartenance à la zone. En ce qui concerne le Niger, l’évolution au cours de la période 2011 -2023 est liée dans une large mesure à la mise en service de la raffinerie de pétrole et le bond de 11% prévu pour 2024 est tiré des estimations d’exportation de pétrole brut.

Seul le taux d’inflation limité semble être une résultante des contraintes imposées par la zone car c’est sa seule préoccupation. Le taux d’inflation dans notre zone est imposé par ailleurs. Pour les autres c’est voulu et c’est cela toute la différence. C’est à ce niveau que j’ai des problèmes et que je ne comprends pas que d’éminents professeurs d’économie s’interdisent de donner leurs opinions sur les conséquences de la servitude monétaire de la zone franc qui prive des états dits indépendants d’un instrument de politique de développement économique aussi important que la politique monétaire.

Le Taux d’intérêt, le taux de change et le taux d’inflation sont des variables clés de politique économique mais dont la mise en œuvre relève exclusivement de la politique monétaire. Alors, comment comprendre que des économistes d’un si haut niveau se contentent, parlant de la zone UMEOA et de la Zone franc en général, d’exposer ses principes dans leur évolution sans aucune analyse critique.

Les pays de la zone, individuellement et collectivement n’ont en réalité aucune prise sur la politique monétaire de la zone, définie exclusivement par le Trésor français et mise en œuvre par la BCEAO. Pire le taux de change est dramatiquement fixe, amarré désormais à l’EURO depuis que la France a abandonné le franc pour cette monnaie commune. En conclusion affirment-ils « L’appartenance à l’UEMOA et à la Zone franc est source de contraintes mais aussi d’opportunités, et chacun apprécie à sa manière avantages et inconvénients. » Comment des techniciens d’un si haut niveau peuvent-ils laisser à l’appréciation des politiques un problème aussi délicat comme la monnaie, sans les édifier par des propositions pertinentes découlant de leur analyse critique des données du problème ?

 Pour illustrer la dangerosité de la parité du FCFA à l’EURO, je vous rapporte cette conversation que j’eus avec un ami. Il m’avait dit que nous Nigériens, vivons au-dessus de nos moyens, parce que, disait-il, avec nos indemnités de déplacement on peut se permettre au Nigéria des nuitées dans des hôtels Hilton ou Sheraton, alors qu’à Niamey elles permettraient à peine d’accéder à des hôtels de quartier.

Je m’attendais à autre chose car réellement les Nigériens vivent au-dessus de leurs moyens, mais sa remarque n’est pas spécifique au Niger mais concerne toute la zone UEMOA dont la monnaie, arrimée à une devise forte, l’EURO, est artificiellement surévaluée au point de rendre abusivement facile l’acquisition des biens et services produits à l’extérieur de la zone (ici le Nigéria) et de rendre nos produits trop chers pour les opérateurs hors zone, comme les Ghanéens, Nigérians et Gambiens. La conséquence est bien entendu désastreuse sur la balance des paiements de nos pays et cela nos professeurs devraient l’affirmer sans ambages et le dénoncer comme inconvénient majeur à ne pas laisser à l’unique appréciation du politique.

 Les deux auteurs reconnaissent que « les aménagements successifs n’ont pas fait obstacle à la permanence de ce qui constitue le « noyau dur » de la Zone » à savoir :

  • La parité fixe entre le FCFA et le franc français, puis l’euro, garantie par le Trésor français ;
  • La convertibilité illimitée du FCFA en franc français (puis en euro), toujours garantie par la France.

Nous avons déjà vu la dangerosité de la parité fixe. Maintenant, nous affirmons sans ambages que la garantie et la convertibilité sont illusoires, une simple vue d’esprit. Dans les faits la France ne garantit pas le FCFA. La preuve on l’a vue en janvier 1994, quand elle a dévalué unilatéralement le FCFA de 50%, pour des raisons qui lui étaient propres, doublant ainsi du jour au lendemain la dette extérieure des Etats et des opérateurs économiques de la zone. La France, comme tout autre pays aussi puissant soit-il, ne peut garantir la monnaie d’un autre pays. La monnaie se garantit uniquement par la pertinence de la politique monétaire, la rigueur de sa mise en œuvre et la solidité de l’économie concernée.

S’agissant de la convertibilité illimitée du FCFA en EURO, soulignons qu’officiellement le FCFA n’est convertible en aucune autre monnaie pas même en son homonyme de la zone CEMAC. S’il en était le cas, on retrouverait des FCFA dans la panoplie de réserves de change de tous les pays de la zone EURO qui seraient la résultante des règlements en FCFA faits par des opérateurs de l’UEMOA à des fournisseurs européens. Ce qui n’est pas le cas.

Par contre, et pour contrer les pessimistes qui affirment que la sortie des Etats membres de l’AES de la CEDEAO et de l’UEMOA va perturber les relations des populations, en change manuel, il y a, fort heureusement, une convertibilité illimitée entre la NAIRA et le FCFA. Il en est de même entre le FCFA et le CEDI du Ghana et très certainement avec les autres monnaies le long des frontières.

Le change manuel étant très actif, en l’occurrence le long des frontières du Niger et du Nigéria et l’autre côté avec le Bénin, il n’est pas prouvé comme l’affirment les professeurs, que les opérateurs hors zone adoptent le FCFA comme monnaie refuge, puisque les taux de change sur ces marchés fluctuent au jour le jour en fonction de l’évolution de certains paramètres économiques de part et d’autre des frontières. C’est une situation que maitrisent parfaitement les professionnels qui vivent des transactions de ces marchés de change, sans rien attendre des experts de la Banque Mondiale et du FMI. D’ailleurs, la fixation des prix en NAIRA sur certains marchés nigériens le long de la frontière semble indiquer au contraire une prééminence de la NAIRA sur le FCFA et exprime à coup sûr la domination de l’économie du Nigéria sur la nôtre.

1.2 « Des expériences peu encourageantes au regard de la stabilité monétaire »

Les auteurs présentent abusivement les ajustements des monnaies des pays qui ont quitté la zone et leurs dépréciations par rapport à l’EURO comme des échecs. Il s’agit du Mali de Modibo Keïta, la Guinée de Sékou Touré et la Mauritanie.

Techniquement rien ne permet de tirer de telles conclusions. Nous avons déjà évoqué les effets pervers de la fixité du FCFA par rapport à l’EURO qui le maintient artificiellement élevé, une situation qui est bien plus perverse que la dépréciation des monnaies de ces trois pays par rapport à l’EURO et conséquemment au FCFA, une dépréciation qui suit l’évolution réelle des situations économiques, d’une part.

D’autre part, si les ajustements monétaires, dévaluations ou réévaluations, pouvaient signifier un échec, alors le FCFA serait un échec en passant d’un franc français pour 50 FCFA à un Franc français pour 100 FCFA. Il en serait de même pour la France lorsqu’elle est passée en janvier 1960 au nouveau Franc équivalant 100 fois l’ancien. Je fais ici économie des actes de sabotage menés par la France contre la Guinée et le Mali pour finalement les ramener dans le giron de la France Afrique, pendant que la Mauritanie continue à assumer sereinement sa souveraineté monétaire.

Pourquoi nos deux éminents économistes se sont-ils intéressés uniquement au cas des trois pays anciennement membres de l’UEMOA et non pas aux pays anglophones de la même région, aux pays maghrébins comme le Maroc, la Tunisie et l’Algérie ou même faire allusion à des expériences parfois alarmantes de l’Amérique latine ? Avec des taux d’inflation à deux chiffres et une dépréciation endémique de leurs monnaies par rapport au dollar, certains pays de l’Amérique latine auraient abandonné depuis fort longtemps leur souveraineté monétaire si l’absence de stabilité monétaire signifiait irrémédiablement un échec et une faillite. La stabilité monétaire n’est pas l’unique objectif de la politique monétaire. En l’occurrence, on peut momentanément la sacrifier pour des objectifs de croissance.

A mon humble avis, leur analyse très sommaire des expériences guinéenne, malienne et mauritanienne, présentées malhabilement comme des échecs, n’a d’objectifs que de dissuader les pays de l’AES à aller vers leur souveraineté monétaire. Aussi, jouent-ils la carte de l’épouvantail, la crainte du « pire » selon leur propre expression, afin de les maintenir dans le statuquo qu’ils présentent comme un « un prudent « pis-aller ». C’est ce à quoi aboutit leur posture de verre à moitié vide, alors qu’on attendait d’eux une démarche plus optimiste qui mettrait en relief tout le progrès que l’on peut tirer de l’exploitation rationnelle des énormes potentialités économiques des trois pays de l’AES. Une exploitation rationnelle qui ne serait possible que par la rupture sans tergiversations de liens coloniaux dont le plus pernicieux est la servitude monétaire. Ainsi, se penchent-ils franchement pour le statu quo, c’est à dire l’immobilisme.

Le tout sécuritaire : la tare du nègre francophone

Les professeurs Baïdari et Gouadain, à travers leur analyse, proposent en réalité aux pays de l’AES une posture d’esclave qui, ne sachant pas quoi faire de sa liberté retrouvée, reprend ses chaînes pour se mettre à la merci de son maître. Aboutissant aux mêmes conclusions, des souverainistes tétanisés par l’idée de l’échec, posent la question de la sortie de la zone UMEOA en termes d’interminables précautions préalables à prendre, préalables qui conduisent à l’immobilisme c’est-à-dire au maintien du statu quo.

Dans cette dernière catégorie on trouve d’éminents universitaires et hommes politiques comme le professeur Mamadou Coulibaly, ancien ministre des finances du président Gbagbo, qui est l’un des premiers économistes à dénoncer la servitude de UMEOA et de la zone franc en général, à travers des analyses pertinentes d’un intellectuel et praticien qui maîtrise bien le sujet dans tous ses aspects.

Cependant, en parfait intellectuel francophone, comme d’autres professeurs d’universités au Niger ou d’ailleurs dans l’UEMOA, le ministre Coulibaly se met à tergiverser en évoquant des précautions préalables à prendre lorsqu’on lui a posé sur un plateau de télévision la question de la création de monnaie par les Etats de l’AES. Soulignons que ces pays ont été déjà poussés à la porte de l’UEMOA par les sanctions illégales et inhumaines de la CEDEAO à l’égard du Niger et du Mali. Brillant en analyse théorique de situation comme la plupart des intellectuels francophones noirs africains, il ne se retrouve plus dès il s’agit de passer à l’action, tétanisé qu’il est par la peur de l’échec.

Ainsi, le ministre Coulibaly insiste abondamment sur les précautions préalables à prendre car disait-il « on ne se lance pas dans la création d’une monnaie comme ça », comme si nos dirigeants sont des primesautiers. Parmi ces mesures, il y a l’or malien à rapatrier pour garantir la monnaie. Aussi, disons-nous que non seulement le Mali n’a aucun kg d’or à l’étranger mais aussi et surtout, quand bien même le Mali aurait des montagnes d’or, elles ne suffiraient pas pour garantir sa monnaie. Je répète encore une fois et avec conviction que la seule garantie d’une monnaie est la solidité de l’économie du pays, la pertinence de sa politique monétaire et la rigueur de sa mise en œuvre.

D’autres enseignants chercheurs posent le problème de risque de falsification des signes monétaires dans leurs exposés des préalables. A ceux-là je dirais que pour qu’une monnaie soit falsifiée, il faut qu’elle soit désirée et c’est déjà un succès. En effet, le dollar USA, malgré toutes les technologies avancées qui entourent sa production, reste la monnaie la plus contrefaite au monde, parce qu’elle est la plus désirée.

Toutes les monnaies du monde sont plus ou moins exposées au risque de falsification et chaque pays développe des intelligences pour protéger la pureté de sa monnaie, au fur et à mesure des menaces, sans jamais effleurer l’idée d’abandonner leur souveraineté monétaire.

 Le besoin de tutorat pour agir, ce poison inoculé aux colonisés par la France, reste encore très actif chez le noir africain, alors qu’il a disparu chez les arabes du Maghreb et les Asiatiques. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur mais d’un simple constat, car seuls les pays francophones de l’Afrique noire sont sous la servitude monétaire et s’y agrippent par crainte, la liberté s’apparentant à de l’aventure pour eux. Tous les pays francophones maghrébins gèrent leurs monnaies, sans que cela soit pour eux une OVNI comme le présentent les professeurs Baïdari et Gouadin quand il s’agit de l’AES.

Entièrement incrustée dans le Sénégal 17 fois plus grand et 6 fois plus peuplé, la Gambie gère allégrement sa monnaie. Mais dès qu’il s’agit d’envisager la création de monnaie pour le Sénégal, des voix s’élèvent de partout pour évoquer une prudence assortie d’une litanie de précautions préalables, alors même que ce pays a certainement le plus grand nombre de professeurs agrégés en économie par habitant en Afrique. En d’autres termes, ce pays abonde de cadres qui, sans nul doute, ont toutes les compétences requises pour objectivement gérer et administrer une monnaie nationale, mais dont les mentalités sont plombées par la peur de l’échec. Incapables de prendre des initiatives, nous attendons tout du tuteur français, cependant, nous sommes prompts à exécuter ses ordres quelles qu’en soient la forme et les conséquences, comme les sanctions illégales et inhumaines contre le Niger.

Une des tares les plus pernicieuses de la servitude monétaire de l’UEMOA est l’absence, dans le fait tout au moins, de politique de change et de gestion rationnelle des devises, ce qui est la conséquence de la pratique de confiscation de ses réserves de change par le Trésor français et l’illusion d’une convertibilité illimitée du FCFA en franc français d’abord, puis en EURO.

Je m’en vais illustrer cette situation par le fait qu’un expert en douane m’a fait part du fait qu’il a été contacté par un opérateur économique qui l’informa qu’il fait transiter ses marchandises à destination du Nigéria par le Niger. L’expert en douane lui demandait s’il n’avait pas de problèmes avec la douane nigérienne, maintenant qu’il y achemine directement ses marchandises au Nigeria sans passer par le Niger, tout en conservant la domiciliation bancaire du règlement de ses fournisseurs à Niamey. Je lui ai alors dis que ce monsieur ne peut pas avoir des problèmes avec la douane nigérienne qui ignore tout de son activité, les marchandises ne passant pas par les frontières du Niger, mais il a, dans l’un ou l’autre cas, des problèmes avec les autorités de change du Niger.

Le contrôle des changes, à savoir la maîtrise des mouvements de devises et leur utilisation optimale, fait partie des instruments majeurs de la politique monétaire, même si les professeurs Baïdari et Bouadain n’en parlent pas. Ils n’en parlent pas parce que la souveraineté monétaire n’est pas dans leur viseur !

Vaincre les peurs pour une souveraineté monétaire imminente

En confisquant illégalement les avoirs de l’Etat et des entreprises publiques et en étranglant notre économie en la privant de signes monétaires indispensables à sa survie, l’UEMOA a opportunément mis à la porte les pays de l’AES. Je suis convaincu que la décision est politiquement prise et que les techniciens sont en conclave pour fixer les modalités pratiques de sa mise en œuvre.

Je ne doute pas un seul instant de la pertinence des propositions que ceux-ci feront aux décideurs. Je voudrais simplement dissiper nos peurs, nos peurs d’esclaves pour lesquels être libre et l’assumer pleinement c’est aller à l’aventure. C’est la posture de « prudent pis-aller » que proposent les professeurs Baïdari et Gouadain.

En effet, ils connaissent bien les conditions nécessaires de la stabilité de la monnaie, à savoir l’encadrement cohérent du crédit à l’économie, la discipline budgétaire et enfin un contrôle de change efficace dont ils ne parlent pas. Cependant, en proposant le maintien du statuquo comme un « prudent pis-aller », ils expriment sans ambages leur conviction que nos pays, individuellement et collectivement, sont incapables de les satisfaire sans les ordres du maître français.

Je voudrais donc dissiper la peur de nos populations en leur disant que la monnaie n’est pas un monstre à domestiquer. C’est pourquoi, à l’exception des pays de l’Afrique noire francophone, tous les pays du monde exercent sereinement leur souveraineté monétaire sans cela apparaisse comme un exploit.

 Je voudrais surtout dissiper les peurs de l’échec qui étreint l’élite francophone d’Afrique noire, un frein psychologique qui le plombe dans l’inaction ou tout moins qui ne le rend apte à agir que sur instructions d’un maître. L’échec fait partie de la vie et il permet surtout d’avancer. En effet, seul celui n’agit pas ne commet pas d’erreur et par conséquent, n’avance pas. Le besoin de perfection inoculé aux noirs francophones, cet esprit de laboratoire toujours en quête du meilleur, conduit à l’inaction et l’éternel recommencement et explique aisément le rang de dernier de la planète qu’ils occupent. Nulle part le pilotage d’une économie n’a été toujours facile, surtout dans la quête de la richesse et du bien-être : on agit, on fait des erreurs, on les assume, on les corrige et on avance. C’est de cette manière que l’on progresse. Frileux en prise de responsabilité, le noir francophone attend tout du maître et une fois que celui-ci aura décidé pour lui, il exécute sans démarche d’évaluation et encore moins de remise en cause, jusqu’au jour où ce maitre reviendra comme bailleur de fonds pour dire que « c’est la catastrophe, on arrête tout ! ». Et c’est l’éternel recommencement.

Je pense ici à toutes les banques de développement de l’UEMOA et tant d’autres entreprises publiques comme l’UNCC et la COPRO au NIGER, qui ont été liquidées sans qu’on ait eu à capitaliser leurs expériences et à mettre quelque chose à leur place. En comparaison, aujourd’hui le réseau des caisses de crédit agricole, chapeauté par la CNCA France, assure correctement le financement de la ruralité et s’avère un des plus grands pourvoyeurs de fonds sur le marché monétaire français, alors que l’Etat a dû intervenir plusieurs fois pour la redresser financièrement pour causes de mauvaise gestion et même de malversations.

Ne pensons pas que nous allons trouver un schéma parfait de gestion monétaire car toute décision comporte des insuffisances, mais elle ne se révèle qu’au cours de la mise en œuvre. Alors on l’assume et on la corrige quand on est souverain. N’oublions pas que la politique monétaire qui encadre la monnaie n’est qu’un instrument, important certes, de la politique économique et sociale du pays parmi tant d’autres. Elle n’est donc pas figée et doit en permanence s’adapter à l’évolution des variables économiques et des objectifs qui leurs sont assignés.

Pour illustrer cette idée, il me plait souvent de rappeler la pertinence d’une réforme monétaire intervenue en France au lendemain de la seconde guerre mondiale. Malgré le plan Marchal d’aide américaine à la reconstruction, la France avait d’énormes besoins financiers pour la remise en état de son tissu industriel, des besoins que ne pouvaient combler les banques d’affaires spécialisées dans le financement des investissements à long et moyen terme des entreprises.

Pendant ce temps, on a constaté que les banques commerciales, spécialisées dans le financement à court terme des entreprises, avaient une masse croissante de ressources constituées par le seuil des dépôts à vue jamais affecté par de retraits et qui s’apparente de ce fait à des fonds permanents, des ressources stables.

A concurrence de cette masse stable, les dépôts à vue peuvent donc être sollicités dans des emplois longs et pour ce faire, les autorités monétaires supprimèrent la distinction entre banques commerciales et banques d’affaires tout en prenant des mesures d’accompagnement tendant à stabiliser les dépôts. Il s’agissait essentiellement d’encourager l’usage de la monnaie scripturale « chèques et virement bancaires » au détriment des paiements en espaces en les taxant (timbres sur les reçus de paiements en espèces que nos pays ont repris sans savoir pourquoi) et la criminalisation de l’émission de chèques sans provisions.

Enfin, par l’institution du plancher d’effets à moyen terme, les autorités monétaires ont obligé les banques commerciales à financer les programmes de reconstruction du tissu industriel du pays, alors même qu’elles n’en avaient pas les compétences techniques : chaque banque doit avoir un ratio minimum de crédits à moyen terme dans son encours global.

Aussi, pour satisfaire cette exigence réglementaire, les banques commerciales étaient-elles obligées d’intervenir sur le marché monétaire interbancaire pour acheter auprès des banques d’affaires des effets de crédit à moyen terme. Et ainsi la boucle est bouclée : par le mécanisme de refinancement, les banques commerciales, sans expertise, participent aux financements des projets industriels, et les banques d’affaires obtiennent ainsi des ressources supplémentaires pour financer de nouveaux projets.

Aujourd’hui, grâce à cet exercice, les banques commerciales, comme la BNP sont devenues expertes en montage de financement de gros projets industriels et sont même parfois chefs de file de consortiums de financement à long et moyen termes d’entreprises. En conséquence l’obligation de plancher « effets moyens terme » a été levée.

En 1976, il a été décidé pour les pays de l’UEMOA la suppression de la distinction entre banques de développement, fonctionnant comme les banques d’affaires, et les banques commerciales. Et, faute de mesures d’accompagnement conséquentes, cette décision a précipité la chute et la faillite de toutes les banques de développement de la zone.

J’ai ouvert cette longue parenthèse pour souligner le fait que la politique monétaire doit être dynamique afin d’accompagner efficacement l’évolution des situations économiques et sociales du pays et de ce fait, elle ne doit pas être entre les mains d’un agent étranger de quelque origine qu’il soit. Les pays de l’AES ont beaucoup de défis à relever, c’est pourquoi ils doivent rompre rapidement le dernier lien de servitude vis-à-vis de la France en assumant leur souveraineté monétaire : défi énergétique, défi alimentaire, défi industriel et même un défi d’obligation de résultats vis à vis des populations africaines qui espèrent, observent et aperçoivent enfin le bout du tunnel, le bout de tunnel de la fin de plus de six siècles de servitude.

J’ai l’habitude de rassurer des impatients en disant que des équipes de think tank sont certainement à pied d’œuvre auprès de nos dirigeants pour élaborer des programmes de politiques agricole, énergétique, industrielle et minière communes vis-à-vis de l’extérieur de manière à éviter que nos similarités en ressources de sol et de sous-sol ne soient une source de compétition ruineuse pour nos économies.

La conception des signes monétaires ne devrait pas prendre beaucoup de temps. Pour la production et la sécurisation des billets, les offres techniques sont partout disponibles. On n’invente pas la roue, il n’y a qu’à s’inspirer des autres et adapter. La servitude ne réside pas dans le fait de s’inspirer de quelqu’un et d’adopter volontairement ses principes, mais dans le fait que c’est autrui qui juge et décide pour vous.

Notre souveraineté monétaire réside donc dans la mise à l’écart totale de la France de nos problèmes de monnaie : refus de son immixtion dans la détermination, fixe ou non, de la parité de notre monnaie par rapport à une monnaie ou un panier de monnaies de référence, et surtout le refus de sa garantie qui est illusoire et constitue un non-sens dans les faits. Enfin, le refus de son expertise dans la détermination et la gestion de notre politique monétaire.

De mon point de vue, nos techniciens sont à pied d’œuvre et ce n’est ni la conception ni la production et la sécurisation des signes monétaires qui leur posent problème, mais les précautions à prendre pour leur mise en circulation : comment empêcher que la France nous sabote avec des vrais billets faux, avec plus de facilité qu’en Guinée dont elle a inondée l’économie de faux sylis. En effet, disposant à Chamalières de la planche à billets CFA, elle tentera à coup sûr de nous déstabiliser en produisant abondamment des vrais billets CFA en séries des Etats de l’AES, mais faux parce que n’ayant pas été émis par notre agence centrale. Il s’agit donc d’envisager les mesures à prendre pour éviter d’échanger en monnaie de l’AES lors de sa mise en circulation, ces vrais billets CFA faux, sans contrepartie dans nos économies réelles.

S’agissant de la politique d’encadrement des crédits bancaires, nous pouvons dans un premier temps prendre la même architecture que celle de la Banque Centrale de l’UEMOA (BCEAO), cela d’autant que les cadres des Etats membres de l’AES qui y travaillent seront les premiers gestionnaires de la future Banque Centrale des Etats de l’AES. Si cette démarche est retenue, je proposerais de revoir à la baisse le taux d’intérêt des banques et de réintroduire les taux d’intérêts préférentiels en vigueur jusque dans les années 1990.

Ces taux concernaient, fort opportunément, les prêts aux petites et moyennes entreprises à hauteur d’un montant (20 millions à l’époque) couvrant largement les besoins du paysan nigérien, les prêts pour la construction du premier logement à hauteur également d’un montant déterminé, l’acquisition par des nationaux d’actifs appartenant à des étrangers et surtout, en hors plafonds, les crédits de commercialisation de produits agricoles avec la possibilité de refinancement sans limite de la banque centrale, parce qu’il ne s’agit pas dans ce cas de créer de la monnaie vide, mais de monétisation d’un bien réel, notamment le produit agricole qui existe déjà.

La reprise des campagnes de commercialisation en faveur du Riz du Niger résoudra en partie le paradoxe de ce pays qui importe massivement du riz et exporte du paddy, par manque de financement adéquat de sa ruralité. En effet, à la récolte, aussi bien dans la région de Diffa que dans les régions du fleuve, le paddy prend la direction du Nigéria et non exclusivement celle du Riz du Niger, parce que des commerçants Nigérians, suppléant la défaillance de la banque agricole, font des avances aux producteurs leur permettant d’acquérir des intrants et régler des problèmes sociaux. Nous reviendrons sur le cas spécifique du crédit agricole au Niger, s’il plait à Allah dans un autre débat, mais retenons d’ores et déjà qu’il y a un problème crucial que la politique monétaire doit rapidement cerner et résoudre.

Les nouvelles autorités en charge de la monnaie doivent surtout renforcer le contrôle de change, là où l’UEMOA a été très laxiste parce que dépossédée du pouvoir de gestion de devises. En attendant donc la création d’une institution financière spécialisée comme la Libyan Arab Foreign Bank ou autres Eximbank d’ailleurs, on doit s’assurer que toute exportation de minerais, de gaz ou de pétrole se fasse sur la base d’un contrat de vente dont le règlement est domicilié dans une banque de la place d’une part, et d’autre part, que la Banque Centrale des Etats de l’AES veille au rapatriement effectif des devises y afférentes, afin d’éviter qu’elles ne deviennent sources de spéculation pour les banques domiciliataires.

Dépossédée du pouvoir de gérer des devises, l’UEMOA a été incapable de développer des compétences nationales pour mener effacement une politique de change. Aussi, les pays de l’AES doivent-ils penser au renforcement de la capacité des cadres des ministères concernés par des stages pratiques dans des pays amis.

Pour conclure nous disons que l’AES n’est pas devant un dilemme, encore moins dans la posture de l’esclave qui ne sachant quoi faire de sa liberté, se voit proposer le maintien de ses chaines comme « un prudent pis-aller », selon les termes des éminents professeurs Baïdari et Gouadain.

Les pays de l’AES ont décidé d’assumer pleinement leur souveraineté en brisant toutes leurs chaines de servitude, la plus pernicieuse étant celle de la monnaie. Ils sont toutefois confrontés aux effets pervers de la mentalité de leurs intellectuels à qui la colonisation française a inoculé le virus de la perfection ou la crainte de l’échec.

Or, convaincus qu’aucune œuvre humaine n’est parfaite, les autorités de ces pays ont décidé de prendre toute leur responsabilité en se mettant au-devant de l’action afin d’apprendre aux intellectuels francophones à surmonter leurs peurs. Elles ont décidé d’assumer les erreurs et les insuffisances qui ne manqueront pas d’apparaitre en cours de route, de les corriger et d’avancer.

C’est cela l’unique voie du progrès !

Publié ce 15 avril 2024

Elhadj Abdou Issaka Kadogo dit Sakou, monétariste de formation, banquier à la retraite

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