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Entretien avec Pr Djibo Hamani sur l’émancipation de la femme nigérienne

«Pour moi émanciper la femme nigérienne revient à libérer la femme rurale de toutes les corvées qui l’occupent de l’aube à la tombée de la nuit »

As-salam : La question de l’émancipation de la femme constitue un enjeu majeur à l’échelle
mondiale. Tout se passe comme si les sociétés humaines ont toujours opprimé la femme. Quels étaient la place et le statut de la femme dans les sociétés à travers l’Histoire ?

Pr Djibo Hamani : La question de la femme est venue récemment dans le champ immédiat de la conscience des sociétés. On ne peut pas dire que la femme a été « opprimée » par les sociétés humaines, et il convient toujours de replacer les choses dans leur contexte. Dans ces sociétés techniquement peu avancées, l’essentiel de la production reposait sur la force physique, et je crois que l’homme a toujours été plus fort que la femme. La guerre, la protection contre les bêtes féroces, la chasse, reposaient sur l’homme. L’homme était donc, logiquement, le maître. Quand la société devint un peu plus complexe, l’expérience intervint, et l’expérience élargie était l’apanage des hommes. De même qu’il y a eu une hiérarchie entre les forts et les faibles parmi les groupes humains, de la même façon il y eut une hiérarchie entre l’homme et la femme. Au fur et à mesure que les qualités purement divines de l’Homme (l’intelligence, la force du verbe etc.) prirent le pas sur la force physique, la revendication des femmes à plus d’égalité apparut comme parfaitement recevable. Et c’est ce moment que nous vivons. La résistance de l’homme dans ce domaine relève d’une tendance tout à fait humaine à défendre les « avantages acquis » même lorsqu’ils sont injustes.

As-salam : En tant qu’historien, pouvez-vous nous faire un bref aperçu sur les causes et les
enjeux du mouvement féministe ?

Pr Djibo Hamani : Il s’agit d’une idée occidentale. En Occident, la femme a toujours eu un statut mineur, très nettement inférieur à celui qu’elle avait en Afrique en général et dans les pays musulmans en particulier. L’Eglise a proclamé que Dieu l’avait créée pour être au service de l’homme. L’homme l’a reléguée dans un plan subalterne. Il y a eu quelques reines célèbres (en Angleterre et Russie par exemples) et des concubines influentes (en France et ailleurs) mais vous ne trouvez nulle part des positions comme celle de la Magaram ou de la Gumsu de Borno, de la Inna du Gobir, ou de la Magajiya d’Agadez. La participation de plus en plus visible de la femme à la production moderne, son haut niveau d’instruction, lui ont fait prendre conscience de l’injustice qu’elle vivait. Ajoutez à cela la déstructuration poussée de la société où les valeurs religieuses et morales se sont effilochées. La femme ne pouvait s’appuyer que sur la révolte et elle s’est révoltée. Elle a beaucoup gagné en matière d’égalité des salaires, de parités multiformes dans le domaine politique, ainsi que dans le domaine familial.

As-salam : Peut-on parler effectivement d’une réelle émancipation de la femme occidentale
aujourd’hui ?

Pr Djibo Hamani : Il est évident que la femme occidentale jouit de la plupart des droits reconnus au citoyen et que, sous peu, elles seront à parité avec les hommes dans les instances de décision publiques. Il reste que les véritables centres du pouvoir dans l’Occident d’aujourd’hui, ce sont les Conseils d’administration des multinationales, et là, aucune loi ne peut venir imposer quoi que ce soit. Il faudra aux femmes travailler à amasser les milliards d’euros et les milliards d’actions nécessaires pour se faire une place visible. On peut aussi se demander si le mouvement féministe européen n’a pas fait finalement fausse route. Ce qui est présenté parfois comme signes d’émancipation semble plutôt annoncer des cauchemars futurs. Le mariage disparaît progressivement, et dans la plupart des pays d’Europe, plus de 50% des couples vivent sans mariage. Il y a des couples de femmes, qui sont parfois légalement mariés. Ce mode de vie amène une chute drastique des naissances que les immigrants ne réussissent pas à combler. En 2020, les plus de 60 ans seront, en France, plus nombreux que les moins de 20 ans et dans ce pays, 20% des femmes cadres vivent seules. La femme est chef de la famille à égalité avec l’homme, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de chef de famille du tout. La prostitution est considérée comme une simple « liberté de disposer de son propre corps ». Les interdits civilisateurs qui ont structuré les sociétés humaines volent progressivement en éclat. Alors, peut-on, dans ce cas, parler d’ « émancipation », c’est-à-dire d’accès à un statut plus libre, plus digne, matériellement, mais aussi spirituellement ?

As-salam : Quels enjeux présentent, pour la femme nigérienne, la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le protocole de Maputo et bien d’autres textes internationaux pour la protection des droits des femmes ?

Pr Djibo Hamani : Les droits des individus doivent être sauvegardés dans tous les pays, sans attendre qu’une instance internationale s’en charge. Mais s’il arrive que des institutions inter Etats incitent à cela, c’est tant mieux. Il faut toutefois rappeler que le domaine de la famille est primordial, et qu’une société ne peut accepter, ici, une intrusion qui remettrait en cause des fondements vitaux. La discrimination est une injustice et doit être combattue. Mais la façon dont l’Islam envisage la répartition des héritages est-il une injustice ? Dans le cadre des rôles qu’il assigne à l’homme et à la femme, non, c’est plutôt la femme qui y gagne, si les préceptes sont effectivement appliqués. Personne ne peut être contre la lutte contre toutes les formes de discriminations. Mais ce n’est pas parce que certains ont abandonné leurs religions et se sont engouffrés dans une voie sans issue que nous devons les suivre. Il faut savoir raison garder même face à des « bailleurs de fonds » devenus « nos partenaires économiques ». Il convient toutefois de reconnaître que l’injustice tout court, dont l’injustice envers la femme, est monnaie courante
chez nous. Les préceptes de l’Islam sont quotidiennement bafoués et peu de musulmanes savent quels sont véritablement leurs droits affirmés par leur religion. Il y a donc une lutte interne à mener contre les discriminations qui frappent les femmes, les pauvres, le peuple, les enfants. Si ce combat avait été conduit par les musulmans, on n’aurait pas besoin de signer des Conventions élaborées par des non musulmans pour les Musulmans. Je suggère donc que les femmes musulmanes, aidées des hommes musulmans, élaborent un texte complet sur la question, un texte susceptible d’être voté et appliqué. Si nous avons notre propre texte, plus besoin des Maputo.

As-salam : Le gouvernement nigérien a formulé des réserves sur la CEDEF et les députés ont rejeté le protocole à la Charte africaine pour les droits de la femme. Avez-vous un commentaire sur ces faits ?

Pr Djibo Hamani : Les députés doivent continuer à déjouer les manoeuvres pernicieuses des organisations stipendiées par des officines qui ailleurs soutiennent l’homosexualité, le mariage homosexuel et la destruction de la famille. Le Code de la famille n’est qu’un premier pas, qui sera suivi de la reconnaissance de l’homosexualité. Mais je rappelle encore une fois, qu’il faut d’abord balayer devant sa propre porte. Le jour où des musulmanes pieuses vous diront : «Nous sommes satisfaites du Code de la famille que notre pays vient d’élaborer », ce jour-là on
aura gagné la partie.

As-salam : Selon vous, qu’est-ce qu’il faut faire pour une réelle émancipation de la
femme nigérienne ?

Pr Djibo Hamani : Je ne suis pas de ceux qui répètent, pour attirer les sous des ONG étrangères, que la femme nigérienne vit dans une prison. Remarquez que ceux qui le proclament arrivent immanquablement à accuser l’Islam, alors que depuis cent ans les valeurs de cette religion ont été ignorées des décideurs coloniaux et de leurs successeurs nigériens. Il faut qu’un régime de justice imprègne l’ensemble des activités du pays, que l’équité apparaisse dans tous les actes, entre les différentes composantes du pays. On ignore que des millions d’hommes au Niger vivent dans l’analphabétisme et la pauvreté la plus crasse. C’est le pays entier qu’il faut sauver et pas seulement ses femmes. On ne peut sauver les femmes et oublier les hommes, de même qu’il est inutile de vouloir sauver le pays en oubliant les femmes. Les hommes et les femmes constituent ensemble les deux jambes, les deux bras, les deux yeux, les deux hémisphères du cerveau du pays. Partout où il est possible d’appliquer la parité, il faut l’appliquer et permettre à la femme d’acquérir de l’expérience là où elle ne l’a pas. Mais n’oubliez jamais que, chez les hommes
comme chez les femmes, ce qui prime c’est l’égoïsme, le comportement de classe. La femme qui mérite toute l’attention, c’est la femme rurale dont la femme urbaine ignore les innombrables souffrances quotidiennes. Emanciper la femme nigérienne revient pour moi à libérer la femme rurale de toutes les corvées qui l’occupent de l’aube à la tombée de la nuit, pour lui permettre d’aller à l’école, de participer aux activités sociales, de lire et, si elle en a l’envie et l’aptitude, d’écrire, pour participer intellectuellement au progrès de la civilisation.

Propos recueillis par Elh. M. Souleymane

As-Salam N° 106 Mai 2008

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